Point de départ : les rencontre d’Arles 2013 : Sergio Larrain et ses tirages de Valparaiso ne me laissent pas insensible. Vagabondages (Monographie résumant l’oeuvre de Larrain) et l’exposition dédiée au photographe à la fondation Henri Cartie Bresson (http://www.henricartierbresson.org/prog/PROG_expos_fr.htm#) ont finit par me décider. En route pour Valpo !
Pablo Neruda l’appelait la fiancée de l’Océan. La reine de toutes les côtes du monde, la renommait t’il. Valparaiso est une boite à oeufs qui illustre la succession de bosses et de creux, de monts et de vaux, de “cerros” (collines) et de” bajos” (zones basses entre les cerros, empruntées par les routes d’accès). Les cerros sont au nombre de 39, 42, 62 selon les auteurs (lire l’amusant guide des choses curieuses et extravagantes de Valparaiso de Juan Torre Barca, acheté à l’auteur en personne, en haut de l’ascenseur El Peral) et portent des noms différents selon les écrivains ou figures publiques de la ville … bref, on va pas se battre, il y en a suffisamment en tout cas pour couper les guiboles même les plus entraînées. Car c’est à pied, Môsieur, que se découvre le labyrinthique dédale de la ville. Car ce n’est qu’à pied que l’on puisse emprunter les passages, escaliers et ascenseurs aux noms singuliers, hétéroclites, cosmopolites, voire sans. Dans ce chaos toponymique , qui d’après le même auteur totalise 2350 noms, on ne perd pas seulement son latin mais plus grave son orientation géographique. On doit de se se perdre à Valparaiso (comme à Venise) sous peine de ne pouvoir se vanter d’avoir visité (mieux, exploré) la ville.
Les premiers habitants de Valpo sont les chiens et les chats. Que de crottes ! A croire que les chiens de peur de se perdre déposent un étron tous les 10 mètres pour retrouver eux aussi leur chemin jusqu’à la gamelle. Les chats, eux, vous observent de leurs tours de guet (un téléphone publique, un étendoir à linge, un parapet) et sourient de votre mine déconfite, de vous voir repasser trois fois par le même chemin.
Ensuite, le vent. Le vent habite Valparaiso. Il remonte frais le long des passages étroits ramenant une odeur de vieille urine, ou d’iode marin ou de café (une énorme usine de torréfaction est en activité en pleine ville et décharge fréquemment ses vapeurs délicieuses) … c’est selon ses caprices. Certains disent que le vent du Sud nettoie la ville, celui du Nord ramène les chapes nuageuses et grises … en tout cas, il sèche efficacement le linge étendu aux fenêtres (c’est quasi systématique !). Du soutien-gorge au pull de marin en laine épaisse, tout est exposé (et balloté) au souffle continu, y compris le drapeau à l’étoile qui est la constante patriotique au Chili.
Et puis il y a ces maisons de bois et de tôles, construites à flanc de “cerro”, souvent dans des conditions topographiques adverses, à l’architecture pérenne (bois et tôle), sans doute pour ses aptitudes anti-sismiques (mais sûrement pas ignifuge … d’ailleurs après les séismes, les incendies sont à l’origine des plus grandes catastrophes). C’est la course à la vue à la mer, on construit en hauteur pour “voir” … des petites fenêtre humbles sous les toits du Cerro Miraflores à la grande baie vitrée des demeures du Cerro Alegre, on s’offre l’inégalable vue à la baie, un luxe accessible à tous. Plus sérieux, l’urbanisme de Valpo a rapidement pris l’option de construire en hauteur : des forts militaires construits en hauteur, au XVIièm siècle pour se mettre à l’abris des pirates, puis par nécessité de s’étendre, lorsque le port est devenu un des plus importants dans le Pacifique au XIXièm siècle.
Les couleurs ? pourquoi autant de couleurs sur ces maisons de tôles ? les explications sont multiples, deux d’entre elles sont gentillettes et assez tordues pour être vraies. A l’époque, une traversée Londres – Valparaiso pouvait durer 3 mois. Pendant les journées de pétole, les marins passaient leur temps à repeindre les bastingages et la coque de leur navire. En arrivant à Valparaiso, ils revendaient ou offraient leur reste de peintures aux habitants (c’est aussi l’explication donnée pour le quartier La Boca à Buenos Aires). L’autre explication, à mon avis, tout aussi valable est que les “porteños” (habitants de Valparaiso, du port donc) aiment à pouvoir voir et montrer fièrement leur maison depuis là où ils se trouvent (depuis le cerro voisin ou depuis le port où ils travaillent). Enfin, toute dernière explication, la moins “romantique” et donc la plus probable : entre les catastrophes (séismes, incendies), et le climat adverse, une couche de peinture est souvent la réponse la plus facile à un entretien de première urgence.
Les “porteños”, les vrais, ceux qui vivent de la mer, sont bien là. Les marins à la casquette (ou au béret) et les marins au cirés sont les figures fières et iconiques de la ville. Ils sont l’âme et la sève de la ville. Leur présence rassurent : Valpo n’est donc pas qu’une carte postale, qu’un décor pour touristes. C’est la deuxième ville du pays à l’activité économique dynamique. Quand on descend des cerros on se retrouve dans une fourmilière active et besogneuse mais qui vit encore en mode “rétro” avec ses tramways aux couleurs de sardine électrique, ses brasseries aux ambiances nostalgiques, ses pubs sombres, comme des grottes profondes, et ses affiches de propagande politique kitch à souhait. La ville irradie un romantisme aventurier certain. Avis à tous ceux en manque d’inspiration !